Passage éclair au Paraguay: Carte postale Asuncion
Une journée au Paraguay qui ne laissera pas de souvenirs impérissables. Asuncion est une capitale pas vraiment accueillante voir pas du tout, où seule une place avec trois, quatre monuments, attire quelques familles en ce dimanche après-midi pour voir la relève du drapeau devant le monument aux héros nationaux. A la nuit tombée errent les sans domicile, femmes désœuvrées qui envoient leurs très jeunes enfants mendier de quoi se nourrir et groupes d’adolescents plus menaçants zonant aux abords des rares restaurants encore ouverts. De la chambre nous observons dès le matin les marchands de petites coupures contre dollars et euros.
Changement d’univers, nous voilà en Bolivie
À Sucre, la capitale législative de la Bolivie, nous ouvrons les pages d’un album des aventures de Tintin: l’Oreille cassée, et plongeons dans l’ambiance du San Theodoros et des cultures Inca. Foules aux costumes colorés, femmes au chapeau melon, marchés regorgeant de produits, décor colonial, montagnes sacrées… notre premier contact avec la Bolivie est un pur bonheur!
L’enfer des mineurs pour nos désirs de riches !
À Potosí, la ville la plus haute du monde (4000m), Francisco nous attend au petit bureau Koala tour, il ne s’agit pas d’une agence mais en fait d’un regroupement de quelques anciens mineurs qui proposent des visites de la concession où ils travaillaient. Francisco lui aussi est ancien mineur, la quarantaine, muscles secs, air jovial, un peu speed, certainement la coca qu’il mâche à longueur de temps; un minibus très local, nous emmène vers le haut de la ville dans une ruelle au pied du Cerro Rico. Deux portes de tôles s’ouvrent sur un réduit assez crasseux servant de vestiaires et douche pour les gars qui ont fini leur journée. Là on nous équipe des pieds à la tête de bottes, pantalon, veste, casque et lampe de mineur, il ne s’agit pas d’un costume pour la photo, nous nous en rendrons compte très vite. Retour au minibus et quelques minutes plus tard Fransisco nous regroupe dans le petit magasin affecté à sa concession. On y trouve tout le nécessaire du parfait mineur: barre à mine, pioches, pelles, dynamite, idoles protectrices: de la Sainte Vierge à la Pachamama et surtout à Tio, alcools forts à 45° ou très forts à 95° pour les offrandes et se donner un coup de fouet, feuilles de coca, cigarettes etc. Il nous explique le fonctionnement de ce type de magasin attaché aux concessions et nous invite à acheter deux trois trucs pour les offrandes et pour donner aux mineurs que l’on rencontrera. Nous optons pour de l’alcool, des cigarettes, des boissons sucrées et Séraphin quand à lui insiste pour prendre un bâton de dynamite, Fransisco lui a promis une expérience unique !
Le Cerro Rico littéralement « la montagne riche », tel un énorme terril culmine à 4700m et domine la ville de Potosí. Les premières galeries furent percées au 16ème siècle pour y extraire l’argent natif (minerai d’argent pur ) et fournir l’Europe en capital. Sans interruption depuis 5 siècles la montagne est toujours creusée, c’est le plus ancien site minier du monde en exploitation, par contre l’argent y a quasi disparu et c’est maintenant pour, l’étain, le cuivre, le cadmium et autres métaux que l’on creuse toujours plus profond.
Nous arrivons finalement à flan de montagne peut être 4300m à l’entrée de la concession.
Nous sommes de suite plongés dans l’ambiance, terrain vague surplombant une ville phantôme s’étalant à perte de vue, d’anciennes machines et matériels à l’abandon, une baraque en brique au milieu d’éboulements où une femme s’affaire à une lessive alors qu’un bambin gambade joyeusement dans la boue. Adossés à un autre baraquement quelques mineurs en tenue débrayées fument une cigarette en buvant une bière, alors qu’un autre pousse un wagonnet qu’il déverse en contrebas….du Zola couleur bolivienne. Je tiens à dire que rien n’est exagéré, je décris les choses telles que les vois comme je pourrais les dessiner. Je ne me situe pas non plus en voyeur ni en témoin de cette scène mais juste en tant qu’artiste qui vit et voit des choses de par le monde et en mémorise les images pour qui sait en extraire quelque chose qui ira dans mon travail.
Francisco, nous souhaite la bienvenue dans la concession et nous emmène vers l’entrée de la mine. Nous suivons dans la boue des rails qui s’engouffrent dans le boyau en une fuite perspective disparaissant dans les entrailles de la montagne. Mais avant d’y pénétrer, il faut faire un passage par la chapelle improvisée juste à l’entrée et offrir à une petite Vierge Marie nichée dans un coin, quelques cigarettes, feuilles de coca et un peu d’alcool dont on imbibe sa parure, Francisco en profite pour s’enfiler quelques rasades tout en marmonnant une prière en nous expliquant ce rituel incontournable et répété chaque jour avant de pénétrer dans la mine, il ne faut surtout pas s’attirer les foudres de la Pachamama, ici sous la forme de la Vierge Marie (mélange des cultures).
Nous pénétrons enfin non sans appréhension dans la galerie qui s’enfonce vers le néant. 4 heures durant il nous faudra avancer tantôt courbé, rarement debout, enjambant les boiseries d’étayages effondrées par le poids de la roche rendue instable, rampant dans les passages trop étroits, se laissant glisser dans un puit de raccordement vers des galeries inférieures dans les éboulements et suivant le faisceau de nos lampes dans les nuages de poussières , sans retour en arrière possible, nous croisons de jeunes gars dégoulinants de sueur, poussants vigoureusement le wagonnet chargé à bloc pour ne pas perdre de temps…et vite revenir en charger un autre. Imaginez les conditions de travail de ces mineurs qui depuis plus de 500 ans fouillent à la main la montagne à la recherche du filon qui les rendrait riche. Chimères! car seules les feuilles de coca, l’alcool pur et le maigre salaire de la compagnie les font continuer pour fournir le reste du monde des minerais dont se gavent les multinationales pour nos besoins de modernité. ( ce n’est pas une envolée lyrique de ma part mais une triste réalité)
À 4400m l’oxygène manque très vite, au moindre effort fourni pour se faufiler dans les étroites galeries, ou ramper pour passer un passage effondré, le souffle devient plus court et la tête tourne… Je suffoque, je cherche de l’air, drôle de sensation que celle de manquer d’oxygène. Alors qu’il ne fait que quelques degrès dehors, dans la mine la température augmente et peut même atteindre 45° au plus profond des puits, là où nous sommes il doit faire près de 35°, je n’en peux plus et enfin, nous nous arrêtons dans un petit renfoncement pour laisser passer un groupe de mineur et leurs wagonnets, le temps pour moi de retrouver mes esprits, un peu de souffle et un rythme cardiaque plus acceptable! la cavité est occupée dans un recoin par Tiot. Tiot a une tête mi homme mi singe, couvert de colliers de fleurs et autres guirlandes colorées, il est assis et tient sa verge en errection, il est la divinité des profondeurs de la mine, tous les mineurs le vénèrent bien plus que la Vierge car il les accompagne à chaque instant de leur effroyable labeur et les protège, c’est pour cela que sans compter on lui offre cigarettes, feuilles de coca, alcool et autres babioles et chaque année les 1200 mineurs de la montagne de Potosi, viendront toute une journée durant sur le compte des compagnies minières, boire, se saouler et danser pour lui au cœur de la montagne.
Mais Tiot et la Pachamma (à moins que ce soit nous) réclament un lourd tribu aux hommes qui par dizaines chaque année, jamais ne rêveront plus les lumières du levant sur le Cerro Rico.
Après de nouvelles et abondantes offrandes à la divinité phallique, nous reprenons notre avancée dans les éboulements d’un passage nous menant 17 mètres plus bas, nous y croisons « Nicolas » un mineur à l’air hagard, assis épuisé sur 4 gros sacs de 20 kg d’argent natif qu’il a péniblement extrait au fils des jours d’un filon caché dans ce dédale mortifère et qu’il lui faudra remonter un à un à la surface pour finalement gagner de quoi rester nous explique t il une semaine à la maison sans avoir à retourner dans cet enfer. C’est une image forte que celle de ce regard perdu d’épuisement que je ne suis pas prêt d’éffacer.
Malgré une bonne condition, surtout Laurence et les enfants, c’est très dur physiquement alors que nous y sommes que depuis 3 heures, mais Séraphin est impatient de ce que lui a promis Francisco. Dans une galerie annexe d’un filon épuisé, Francisco très sérieux, explique à Séraphin comment préparer le bâton de TNT avec la dose de chlorate, et positionner le détonateur et sa mèche. Séraphin écoute religieusement et reproduit avec précaution chaque geste que Francisco lui a montré. Ils allument ensemble les mêches des explosifs préparés, à partir de là il reste 1min45 pour Francisco tranquillement aller au fond du boyau déposer les bâtons de dynamite et revenir… Séraphin a les yeux qui pétillent et attend le moment où le détonateur agira sur sa préparation…
Alors qu’il s’attendait à une explosion comme celle des artifices que je tirais dans mes spectacles, c’est une détonation suivie d’une autre, sèches et sourdes qui se propagent en souffle dans la galerie. Belle leçon de physique où il apprend que l’onde sonore dans une galerie fonctionne comme celle d’un tir d’une arme. Il comprend aussi tout le danger pour les mineurs de manipuler des explosifs parfois instables avec les risques d’éboulement. Mais quelle expérience ! Par contre cela ne fascine pas vraiment Tomé, qui en attendant dans la galerie principale, préfère tracer dans la poussière un morpion pour jouer avec Laurence à moitié terrorisée, (mais quelle maman ne le serait pas, à laisser son fils manipuler ce genre de produit.)
Francisco nous aura parfaitement accompagné lors de cette immersion au fond des mines du Cerro Rico, où des enfants de l’âge des nôtres travaillent dans ces conditions 8 à 12 heures par jour, tout cela parce qu’ils n’auront pas eu la persévérance d’aller à l’école pour s’instruire et espérer un avenir différent. Une extraordinaire leçon pour Tomé et Séraphin dont ils ressortent avec un regard plus mature sur les réalités du monde, se rendant compte encore un peu plus s’il le fallait du privilège qu’ils ont, et de la responsabilité qui leur incombe.
Sans doute Tomé et Séraphin n’auront-ils pas seulement compris la chance qu’ils ont de pouvoir râler quand ils doivent se lever le matin pour aller à l’école… Ils reviendront, aussi, pleins d’enseignements et de sagesse!
Belle expérience que cette visite des mines avec Francisco, je me suis régalée à vous lire.
ça nous remet bien à notre place avec notre surconsommation, nos petits bobos d’Européens. Une belle leçon en effet.
Bonne continuation
Sophie
Comme j’aimerais savoir comment Tome et Séraphin vivent de telles expériences !!!et comment vont ils nous revenir riches de toutes ces découvertes et de ces rencontres avec ces hommes et femmes d’un autre âge !!?bravo à toi Laurence pour avoir su gérer ton stress !!!