Dans les montagnes du Sulawesi tout pousse: cacao, café, vanille, poivre, cannelle, cardamome, muscade, clous de girofle, mangues, jackfruit, ananas, avocats, lime, bananes, durians, dragon fruit, snake fruit, papaye, goyave, fruits de la passion… dans un décor de rêve c’est encore un paradis sur Terre proche de ce que les premiers navigateurs ont découvert.



Sur les traces de Claude Lévi-Strauss en pays Toraja…
Dans un village non loin de Rantepao la grand-mère est morte ce matin à l’âge honorable de 84 ans. Toute la famille s’active autour du corps de la défunte, l’installe confortablement assise dans un coin de la maison et vient lui apporter nourriture et réconfort car il faut s’assurer qu’elle est bien morte et si ce n’était pas le cas, il faut qu’elle ne manque de rien. Tant que l’on est pas sûr, grand-mère restera avec la famille dans la maison, mais après quelques jours ou quelques semaines il faut bien accepter qu’elle ne reviendra pas, c’est alors le moment de préparer le corps pour le disposer dans le cercueil. La forêt toute proche fournit toutes les plantes nécessaires qui serviront à l’embaumement pour permettre la momification (c’est important pour la vie future de la grand-mère). Ceci fait Grand-mère est habillée et parée de ses plus beaux atours puis délicatement allongée dans le cercueil cylindrique traditionnel, en forme de tronc d’arbre. Entre temps les hommes de la famille ont érigé une tour à proximité de l’imposante demeure familiale en forme de bateau ( cette forme viendrait des premiers arrivants venus du nord en bateau et ayant utilisé leurs nefs pour premiers habitats dans l’île, d’autres optent pour la forme des cornes du buffle, nul ne sait vraiment). En façade trône une énorme tête de buffle en granit servant de fronton à la terrasse où s’élève la haute pilastre soutenant le haut faît du toit, ornée de nombreux et imposants sacrifices de buffles (leur nombre signifie le rang social de la famille dans la communauté). Cette tour reproduit la même architecture que la maison et le cercueil y sera placé en attendant le temps des funérailles.



Durant cette période qui peut durer des mois voir des années, on continuera très régulièrement à rendre visite à Grand-mère l’informant de la vie de la famille et de la communauté. Pour choisir la date de ce temps très important, il faudra que toute la famille soit présente, d’autant que beaucoup habitent maintenant loin, très loin du pays Toraja, on profitera du moment le plus propice, celui des vacances en décembre/janvier pour organiser ces funérailles, (quitte à attendre plusieurs année pour pouvoir réunir toute la famille). Le temps venu il aura fallu préparer l’accueil de toute la famille mais aussi de l’importante communauté car la grand-mère était aimée et aussi une personnalité du village et des environs. Pour se faire autour de l’espace familial, composé d’une large esplanade d’herbe avec d’un coté la maison principale face à laquelle 6 greniers à riz de même forme se trouvent, seront construits en bambous autant d’espaces éphémères qu’il sera nécessaire pour accueillir tout ce monde (cela peut aller jusqu’à mille personnes). La grand-mère est morte depuis plus d’un an maintenant et le grand jour des funérailles est arrivé, elles dureront 3 jours au rythme d’un protocole précis orchestré par un maître de cérémonie à la sono tonitruante !



Nous sommes arrivés au deuxième jour, pour nous le plus impressionnant car celui des sacrifices. Chaque invité à amené avec lui ses offrandes pour la défunte et pour la famille: buffles, cochons, cigarettes, bouteilles, billets, friandises….selon l’importance du défunt cela peut être en quantité jusqu’à 24 buffles magnifiques, trente, quarante, cinquante porcs, cigarettes pour toute la communauté, friandises pour les enfants… Quand nous arrivons avec notre modeste obole (une enveloppe de quelques centaines de milliers de roupies) de nombreux camions arrivent encore avec leur flot d’invités apportant de malheureux cochons hurlants, ficelés à des perches de bambou pour être amenés sur une aire où déjà nombre de leurs congénères ont été sacrifiés et cuisent dans les bambous selon une pratique traditionnelle de cuisson. Non loin sur la tour de distribution de la viande, des hommes lancent une bête prête à être découpée et distribuée. Pour une entrée en matière, on est tout de suite transposé dans un autre monde. Nous arrivons sur l’esplanade entre la maison et les greniers à grain, à l’autre bout se trouve la tour où repose le cercueil, au centre une ronde d’hommes s’est formée, ils entonnent des chants envoutants sur une danse rituelle, une procession de jeunes femmes en tuniques bleu-ciel, offrandes en main (café, thé et gâteaux) s’avance vers la tour au pied de la défunte, elles font le tour des sacrifices et reviennent distribuer leurs agapes aux femmes de la famille qui attendent dans l’une des construction érigée à cet effet. Passé l’envoûtement des chants, dans cet cérémonie hors du temps (du moins de notre temps) je remarque au pied de la tour 4 têtes de buffles baignants dans leur sang, et sous un abris de bambou un amoncellement de viande fraîche que plusieurs hommes débitent à la machette. Alors que les cochons sont sacrifiés pour nourrir les invités et les fournir en viande, le buffle à un tout autre rôle dans ce rituel. Il est le porteur de l’âme de la défunte, c’est pour cela qu’il doit être exceptionnel avec une stature robuste, un cou fort, de très grandes cornes et s’il a les yeux blancs il sera encore plus beau. Je parlerai plus loin de ces buffles uniques.



Le maître de cérémonie reprend après les chants son micro et de sa sono puissante, énonce en Indonésien les offrandes faites, et en anglais remercie de leur présence les quelques étrangers à la communauté présents (les étrangers sont toujours bienvenus dans les funérailles car il sont considérés porter bonheur à la famille par leur présence). Ce qui est incroyable c’est que nous ne nous sentons pas de trop parmi cette foule si particulière, bien au contraire tous nous invitent à aller voir ce qu’il se passe, nous disent de prendre des photos, posent avec nous, nous offrent un café et quelques gourmandises, nous sourient comme pour nous remercier d’être là. Cela change de nos pratiques occidentales et nous aurions beaucoup à prendre de leur accueil. Nous continuons notre découverte, enjambant des flaques de sang et évitant les têtes décapitées des buffles que deux hommes traînent vers un autre qui muni de sa machette sépare les cornes du reste de la tête. Les trophées qui orneront avec tant d’autres la façade de la maison familiale montreront le statut social et la place de la famille dans la communauté. Les cuisines grouillent des voisins venus aider à nourrir tout le monde, d’énormes marmites de riz cuisent pour accompagner les pièces de cochon que l’on grille et cuit dans des tronçons de gros bambou. Nous repassons où l’on amenait les cochons à notre arrivée, ce n’est maintenant plus qu’un immense charnier de dizaines de bêtes mortes, grillées directement au chalumeau avant d’être débitées à même le sol pour le partage. Nous repartons de ces funérailles, sans dégoût pour ces sacrifices impensable dans nos cultures, la tête pleine d’images fortes, de vibrations intenses et de sourires chaleureux… La grand mère aimée et reconnue, l’âme portée dans l’au-delà par de puissants buffles sacrés aura eu de magnifiques funérailles dont nous avons eu la chance d’être témoin.
Buffles sacrés.
Quand aux buffles, en pays Toraja ils sont vénérés et élevés uniquement pour être un jour sacrifiés lors de funérailles. Certain combattront même à l’ouverture des grandes cérémonies prouvant force et courage pour emmener l’âme d’un défunt une fois qu’ils auront été sacrifiés. Dans la ville de Rantepao, chaque vendredi matin se tient le plus grand marché aux buffles d’eau du monde. Ce sont des centaines de ces imposantes et puissantes bêtes qui lustrées et aprétées sont présentées aux acheteurs qui pourront mettre jusqu’à plusieurs centaines de million de roupies pour acquérir la plus belle bête pour l’offrande des funérailles d’un proche ou d’un ami aimé. Les critères pour la valeur d’un buffle sont: son âge, la puissance qu’il dégage, notamment son cou qui doit être fort (pour se faire durant toute sa vie on le forcera à avoir la tête levée ), la couleur de sa peau (un buffle albinos étant rarissime devient très cher) ses cornes qui doivent être les plus grosses et les plus larges possible mais si elles sont tournées ou même recourbées sous le cou c’est encore mieux, les yeux qui sont normalement marron à l’iris noir, s’ils sont blancs avec un petit iris noir c’est le jack-pot ! Bref de nombreux critères influent sur le choix et surtout le prix de l’animal car pour une offrande rien n’est trop cher et cela en devient un marqueur social et un investissement pour l’avenir. Imaginez si j’offre un buffle magnifique pour les funérailles d’un ami qui plus est influent dans la communauté, j’investis pour mon avenir, la famille et la communauté seront reconnaissantes de mon geste, mais j’investis aussi pour mes propres funérailles et donc pour le prestige de ma famille. Ce marqueur au delà des funérailles se retrouve sur les piliers totémiques des maisons.




Les buffles sont élevés (par 1 ou 2) dans des familles possédant des terres pour les nourrir et un point d’eau pour le bain (il s’agit de buffles d’eau). L’animal soigneusement choisi pour ses caractéristiques qui en feront un animal valorisable sera choyé durant 5 à 8 ans avant d’être revendu (avec souvent un beau bénéfice)
Autre fait marquant dans cette culture, aucun buffle n’est tué en dehors de funérailles, et si l’on vous en propose même au restaurant, il vient impérativement d’un sacrifice de funérailles. Point de boucher ni de boucherie en pays Toraja!
Le marché de Rantepao est aussi le marché aux cochons pour toujours la même finalité et celui des coqs de combat qui malgré l’interdiction se pratiquent toujours. Autrefois, lors de litiges entre deux personnes que l’on ne pouvait résoudre, on demandait aux belligérants de venir chacun avec son coq. À l’issue du combat le coq vainqueur donnait raison à son propriétaire et l’affaire était entérinée. Sauf que c’était aussi prétexte à de gros paris, et que souvent cela ne faisait qu’empirer la situation, les perdants refusant le verdict du combat, vous imaginez la suite… D’où l’interdiction officielle des combats qui se feront donc en cachette! Par contre le coq est toujours le symbole de la justice et on le retrouve sculpté au dessus des têtes de buffle.
Au travers de notre semaine au Toraja, on se rend vite compte que toute la vie et de cette incroyable communauté se structure à partir des rituels des funérailles et du buffle sacré.
Sépultures et rituels
Un autre rituel auquel nous n’avons pu assister car il se déroule en août c’est celui qui consiste tous les 3/4 ans à sortir les cercueils des caveaux creusés dans la montagne. Les corps sont sortis et alignés (comme les sculptures à figure humaine des sépultures) on procède alors à une toilette complète et un changement des vêtements des corps des ancètres. Avant d’être remis dans un cercueil neuf et placé à nouveau dans le caveau, la famille et les proches pourront à loisir discuter un peu avec les ancètres, leur donner quelques nouvelles fraîches, et les présenter aux enfants et petits-enfants qui ne les connaissaient pas.






– Tu vois là c’est Grand-mère Philomène, ici Papy Jacob et là le gentil tonton Marcel …dis leur comment tu t’appelles et raconte leur ce que tu fais avant qu’on ne les remette dans la montagne !
Il y aurait encore tant d’autres choses à vous raconter sur le pays Toraja, mais ça, ça sera quand nous vous retrouverons dans quelques mois…
Cette fabuleuse découverte des rituels funéraires Torajian, nous la devons à Ritha Balik qui fut pour nous merveilleuse guide.https://torajaculturetour.wordpress.com
Cool ! Nous voyageons avec vous !!
grand merci pour ce passionnant récit.
Les Célèbes, paradis où nous aurions du faire notre voyage de noce…peut être nos funérailles ?mille bisous
Salut les Dancette, remariez-vous pour de faux et partez aux Célèbes pour de vrai ! Il n’est pas trop tard, quand aux funérailles on attendra un peu mais promis ce jours là on arrivera avec un beau buffle blanc aux yeux bleus. En ce moment on est à Bali avant de basculer vers le Pacifique pour les fêtes. On vous embrasse.
Impressionnée je suis ! quels commentaires fournis et intéressants !
A suivre de chez soi… c’est pas mal ! Merci
Bonne poursuite et bises
Coucou Mireille, C’est avec un grand plaisir que nous partageons toutes nos aventures, et un encore plus grand plaisir empreint de bonheur que de lire vos commentaires chaleureux. C’est le voyage de notre vie, mais aussi quelque part celui de tous nos amis. On t’embrasse.
Bonjour,
merci de nous faire partager vos découvertes. Quelle fascination de découvrir des modes de vies et des rites complètement différents des nôtres..
Bonjour Valerie, (on va se tutoyer, ça sera plus simple et plus sympa) C’est un plaisir pour nous que de partager nos aventures avec nos amis et nos lecteurs. On vit vraiment des choses extraordinaires et pour l’instant sans embûches. J’ai eu à penser à toi ayant expérimenté les massages au Népal et en Thaïlande, c’était très bien et agréable mais rien ne vaut ton super travail de Kiné dont j’aurais parfois bien besoin, c’est que les voyages ça forme peut être la jeunesse, mais ça use mes vieux os ! J’espère que tout va bien là haut et que ta petite famille se porte bien. Amitiés de Bali. Luc
Très bon recit que j’ai vécu le 18/12
Mes guides étaient apparentés à la famille de la défunte, c’était le premier jour il y avait beaucoup de monde dans le village de Palawa.
Les cérémonies duraient toute la semaine.
Il y avait un drone qui prenait des photos aériennes.
Bonjour ! Avez-vous le contact de Ritha ? J’aimerais la joindre pour organiser un tour, mais n’arrive pas à trouver de numéro ou d’adresse courriel. Merci ! ☺️
Bonjour Amelie, je vous répond un peu tard, mais les derniers mois ont été intenses et puis il y a eu le grand retour à la réalité ! Voici le mail de Ritha rithabalik86@gmail.com n’hésitez pas à la contacter de notre part elle a été super . Tenez nous au courant si vous y allez. Luc